(crédits AFP)
L’université britannique online The Open University a publié il y a quelques semaines son rapport annuel sur les pédagogies innovantes. En recoupant les pratiques, les technologies, les recherches les plus en pointe dans le milieu de l’éducation, les auteurs du rapport proposent une liste de 10 innovations pédagogiques appelées à se développer à court ou moyen terme.
Certaines de ces innovations sont très théoriques, issues de la recherche, d’autres sont encore confidentielles en France, la plupart concernent l’université ou le secondaire mais pourraient bien un jour irriguer la pratique de tous les enseignants...
1. L’apprentissage social massif en ligne (Massive online social learning)
Les MOOCs, les cours massifs en ligne donné par la plupart des universités (certains sont suivis par plusieurs dizaines de milliers de personnes) vont voir leur versant social et coopératif se développer largement. Les techniques et les liens propres aux réseaux sociaux et à l’univers du gaming vont se multiplier autour et à l’intérieur des MOOCs, les étudiants créant des groupes de discussion, des groupes de travail virtuels, des forums de partage, et il sera possible de commenter les publications, comme sur Facebook, ou de suivre un étudiant, comme sur Tweeter.
2. Le design pédagogique fondé sur l’analyse de données (learning design informed by analytics)
Le design pédagogique consiste dans la conception et l’utilisation des outils et des modèles dont dispose un professeur pour mettre en place les apprentissages, en variant les supports et les médias, de manière à construire les cours les plus attractifs et efficaces possible (tout en spécifiant les résultats attendus, les parcours pour y parvenir, les modalités d’évaluation).
Les données relatives au suivi et à la gestion des activités d’apprentissage, qui mesurent leur pertinence et leur efficacité a posteriori, sont analysées et permettent au professeur d’affiner son enseignement et d’améliorer ses cours sur la base de ces informations.
3. La classe inversée (flipped classroom)
Cette innovation est déjà bien installée, notamment en France, dans le supérieur et dans le secondaire. Il s’agit d’inverser la logique de travail, en donnant par exemple aux élèves des vidéos à lire hors temps scolaire, à la maison ou ailleurs, grâce auxquelles l’élève découvre les notions, intègre à son rythme les apports théoriques, prenant les notes qu’il juge nécessaires. Le temps en classe est dédié aux activités de recherche et d’application sur les sujets étudiés, aux travaux d’exploration et de réflexion, notamment en groupes, sous l’égide du professeur.
4. « Amène tes appareils en cours » (bring your own device)
L’utilisation de smartphones ou de tablettes en cours modifient le rapport au savoir et au professeur - il ne s’agit pas seulement de venir avec ces joujoux technologiques mais son propre environnement de travail. Le professeur n’est plus celui qui dispense le savoir et fournit le contenu aux élèves, il fonde son cours sur l’utilisation active des ressources numériques par les élèves, y compris leurs ressources personnelles et leurs réseaux.
5. Apprendre à apprendre (learning to learn)
On passe notre vie à apprendre, à développer de nouvelles idées et de nouveaux outils. Ce qui est difficile c’est d’apprendre ce que les autres veulent nous enseigner, et de parvenir à structurer ces apprentissages dans un but précis. Etre un apprenant efficace (effective learner) consiste notamment à comprendre comment j’apprends, quelles sont mes méthodes propres d’acquisition des savoirs. Ce mouvement réflexif est décisif, il ne s’agit pas seulement de résoudre un problème ou de poursuivre un but mais de réfléchir aux processus à l’œuvre et de développer sa capacité à trouver les outils adaptés qui vont aider à inventer sa solution propre. Des outils comme le « journal d’apprentissage » (reflexive journal) ou la carte mentale (mind map) sont déjà assez répandus en France, y compris dans le primaire.
6. L’évaluation dynamique (dynamic assessment)
L’évaluation dynamique se focalise sur les progrès de l’élève. Durant la période de test, le professeur intervient régulièrement et interagit avec l’élève, afin de trouver avec lui comment surmonter ses difficultés spécifiques à mesure des obstacles rencontrés. Cette méthode d’évaluation, qui demande beaucoup de travail, peut s’avérer très efficace avec les élèves en grande difficulté.
7. L’apprentissage événementiel (event-based learning)
A la manière de la pédagogie de projet ou des situations-problème, l’event-based learning est fondé sur l’idée que l’on apprend mieux quand on est engagé dans un projet collectif, avec une échéance précise. L’apprentissage se fait en situation, dans l’émulation, l’élève est entièrement investi dans la démarche, pleinement actif et créatif, en lien direct avec la réalité. La participation à des événements qui rassemblent des projets différents sur un même sujet est source de rencontres et de partage avec des fondus d’artisanat, de do-it-yourself, de sciences ou d’informatique alternative, par exemple (le rapport cite les Raspberry Jams, où les fans du Raspberry Pi, ordinateur à 35€, confrontent leurs idées et leurs inventions).
8. Apprendre par la narration (learning through storytelling)
Ecrire peut être un moyen pour aider l’élève à structurer, approfondir et revisiter son savoir. Développer un récit, c’est créer du sens, le narrateur structure une série d’événements d’un point de vue particulier dans le but de créer un tout qui fait sens. Ecrire une expérience, un reportage, une enquête, analyser une période de l’histoire sont des exemples, mais ce type d’apprentissage va plus loin, l’élève est encouragé à opérer des liens entre différents savoirs, à recouper les sources et les ressources, à confronter les époques, le point de vue historique et la pratique moderne. Ici encore, c’est l’investissement, l’immersion de l’élève, qui est visé.
Le récit numérique (digital storytelling) ajoute à ce type d’apprentissage les possibilités du multimédia.
9. Les concepts-clé (threshold concepts)
Le concept-clé, tel que défini ici, est un concept qui établit un seuil à partir duquel la compréhension, mais aussi la perception que l’élève a d’un sujet sont modifiées en profondeur. Irréversible dans ce qu’il débloque (l’élève ne redescendra pas de ce niveau), ce concept-clé est un glissement décisif et ontologique, il procède de connexions entre des aspects cachés d’un phénomène, il engage notre perception, notre expérience concrète de la vie. L’exemple souvent donné est celui du transfert de chaleur, physiquement complexe, dont l’impact est important en cuisine, par exemple : une fois qu’un cuisinier a assimilé ce concept concrètement, il l’intègre définitivement dans sa pratique qui s’en trouve sensiblement modifiée. Les concept-clés sont actuellement étudiés de près, certains chercheurs aimeraient identifier et formuler les concepts-clés relatifs à chaque domaine d’apprentissage, afin qu’ils soient utilisables par les professeurs.
10. La construction (bricolage)
Issu du courant constructionniste, le bricolage est un procédé pratique d’apprentissage dans lequel l’élève est impliqué directement, souvent collectivement, dans des constructions matérielles où l’idée de transformation continue est importante, un résultat étant souvent à l’origine d’une nouvelle construction. Les essais successifs, les tâtonnements, la discussion et les apports de chacun permettent d’ordonner graduellement une construction concertée, et d’inventer des solutions communes face aux problèmes rencontrés. Cette méthode est déjà à l’œuvre dans le domaine de l’informatique, pour la création de site web ou de programmes, par exemple.
Le rapport “Innovating Pedagogy 2014, exploring new forms of teaching, learning and assessment, to guide educators and policy makers”, est consultable ici, en anglais.